A la demande unanime et enthousiaste de l'assemblée, voici un petit extrait du retour de l'héroïne à Noirmoutier, proposé par Camylène.
La certitude d’avoir fait le bon choix lui sauta au cœur dès qu’elle atteignit la dernière portion de route qui relie Beauvoir à Noirmoutier. Elle songea à cette première escapade qui l’avait menée vers l’île, sept ans auparavant, presque jour pour jour. À cause d’une panne de voiture, elle avait dû emprunter Le Goulet, ce bateau à fond plat qui faisait la navette entre l’île et le continent avant la construction du pont. Elle ignorait alors que cet été 1970 allait bouleverser définitivement son existence.
Lorsqu’elle avait franchi le Gois cet été-là, après un aller-retour éclair à Paris, des centaines de voitures s’agglutinaient aux abords de la route pavée. Elle avait traversé de justesse cette frontière mouvante aux reflets turquoise.
Rien de tel aujourd’hui. Le pont régulait parfaitement l’afflux des véhicules, indifférents désormais aux horaires de la marée. Seuls quelques amoureux inconditionnels du site, quelques visiteurs curieux et des pêcheurs de coquillages à la recherche d’un stationnement sûr, roulaient lentement sur les pavés disjoints. Dépossédée de sa fonction première, la chaussée était devenue un lieu de promenade et de découverte. Les conducteurs pressés empruntaient le pont.
Le Relais du Gois et La Casa del Campo, les deux restaurants situés à l’entrée du Gois, côté continent, étaient noirs de monde en ce début d’août. Bien qu’elle n’ait rien avalé depuis le matin, Julia n’avait pas faim. La seule chose qui pouvait la rassasier, en cet instant, c’était la présence de l’île. Par les vitres ouvertes, montait cette odeur si caractéristique d’iode et de goémon mouillé qu’elle n’avait jamais retrouvée ailleurs. C’était l’odeur des vareuses bleues de Jean qui séchaient, par temps froid, devant le poêle à bois. Celle des plages en hiver que les algues échevelées frangeaient d’une parure brune...
Comme elle avait aimé ces quelques incursions dans son domaine, au cœur de leur premier hiver ! La maison de Jean n’avait rien de confortable, mais l’amour sublimait chacun des instants partagés avec lui. Ils s’aimaient si fort, alors…
En sept ans, l’île avait beaucoup changé. Eux aussi, sans vraiment s’en apercevoir. Le temps joue-t-il ainsi, inexorablement, sur les êtres et sur les lieux ? Plus aucune trace ne subsistait de la fameuse inondation qui avait ravagé le polder de Sébastopol. Le long de l’autoroute, là où n’existaient auparavant que des champs de pommes de terre et des parcelles incultes, quelques maisons blanches commençaient à s’élever, de-ci de-là.